Fantôme !

Vous êtes-vous déjà trouvés dans une situation complètement extravagante qui dépasse votre entendement ? Cela m’est arrivé, il y a quelques temps. Aller, hop, je vous raconte tout ça, parfumé à ma sauce, bien entendu.

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Un jour, mon voisin, devant se rendre chez le toubib, me proposa de me déposer au bar-tabac du village à côté. Vu que le bistrot le plus proche est implanté à dix kilomètres de chez moi, et n’ayant plus de voiture, je profite, de temps à autre, de la gentillesse de mes voisins pour m’évader de mon trou perdu. Certes, poireauter une petite heure peut paraître long, mais, quand il s’agit de passer du bon temps avec quelques désœuvrés comme moi, cette attente ne peut être que joyeuse. Poussant la porte du bistrot, je saluai à la volée le patron et l’assemblée, puis, me dirigeai vers le fond de la salle, là où se situe ma table préférée.

Je ne sais si vous fréquentez, de temps à autre, ce genre d’établissement, mais, pour ceux qui n’ont pas cette fringante habitude, sachez que dans les bistrots, ici, en Auvergne, et, certainement partout en Gaule, c’est un peu comme à la maison, chacun a son petit coin favori. Les accros du PMU seront attablés devant l’écran de télévision, là où des canassons courent à perdre haleine, sans jamais pouvoir s’échapper de cette cage de verre – les fumeurs s’attableront pas trop loin de la porte d’entrée, des fois qu’une envie soudaine de clop se fasse sentir plus qu’urgente – les amoureux se planqueront tout là-bas, bien dissimulés de la populace, car, c’est bien connu, les amours sont toujours cachés – les braillards se tiendront au milieu de la salle, certains de se faire entendre par tous – les poivrots, associés aux piliers de bistrot, se cramponneront au comptoir en zinc, des fois qu’il s’écroule (oui, le comptoir, pas eux…) – les couples de petits vieux, eux, s’installeront sur les banquettes en Sky, ces dernières étant plus confortables que les chaises en bois – les jeunes et les jeunettes de 18/25 piges se poseront n’importe où, sachant que leurs copines et copains les trouveront où qu’ils soient – l’étranger de passage, lui, trouvera une petite place au zinc, histoire de se délecter des histoires de comptoir – la petite vieille au chien, tenant fermement la laisse en cuir ratatiné de son microscopique monstre aboyeur, se calera devant la petite table, tout à-bas, dans un minuscule recoin où personne n’oserait s’installer – quant au patron de ce théâtre provincial, oscillant de droite à gauche derrière son zinc, tout en zigzaguant entre les tables, il jouera, avec un plaisir espiègle, au chef d’orchestre de cette bouffonnerie gauloise – et, les vieux comme moi, célibataires, ou veufs, ou divorcés, peu importe, s’assoiront ici, à la seule table offrant un vaste panorama, histoire de profiter pleinement de ce vaudeville vivant gratuit.

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Passant le long du comptoir, un boit-sans-soif m’apostropha  : « T’es veinard aujourd’hui, t’as de la compagnie ». Un autre, aussi goguenard que son compagnon de beuverie renchérit : « Ouais, tu vas prendre un bon coup de jeune, ton arthrose va apprécier ». Connaissant l’humour graveleux de ces deux piliers de bistrot, je n’y attachai pas d’importance et continuai mon trajet. Après avoir contourné le pilier central du troquet, je compris le sens des remarques des deux pochards. Assise à ma place, une femme occupait mon emplacement favori. En fait, ce n’est pas tout à fait exact. Alors que moi, d’habitude, je faisais face à la salle, l’effrontée, piqueuse de coin préféré, était assise de l’autre côté de la table, faisant face au mur. Grande et menue, elle devait avoir dans les trente-quarante ans, était vêtue d’un Pantacourt turquoise et d’une veste en Jean, sur laquelle s’épandait une abondante chevelure châtain foncé. Pas rancunier envers cette voleuse de table adorée, je m’approchai de celle d’à côté, tout en la saluant aimablement. L’effrontée, pour répondre à mon salut, se retourna, et là, je restai pétrifié ! Tétanisé le Guyr ! Paralysé de bas en haut, incapable de réagir, le regard fixe, ne quittant pas d’un cil son visage.

  • Vous avez vu un fantôme, me demanda-t-elle, en souriant ? Je ne savais pas que je pouvais procurer un tel effroi.
  • Pardonnez-moi, lui répondis-je, en me ressaisissant. Un fantôme ? C’est peu de le dire, tellement la ressemblance est frappante.
  • Je savais que l’on pouvait avoir des sosies vivants, mais des sosies fantômes, ça, on me ne l’avait jamais fait, renchérit-elle, en riant.
  • Croyez-moi, pour moi aussi, c’est une première. Vous avez le même visage, la même chevelure, les mêmes yeux vert à paillettes d’or pétillant de joie de vivre. Comment ne pas être déconcerté devant pareille apparition ?
  • Vu la tête que vous faisiez, il est certain que je vous ai surpris. Je suis curieuse de savoir pourquoi.

Lui ayant proposé un autre café, je lui expliquai la rencontre fortuite avec son sosie, les bons moments que nous avions partagés ensemble durant sept mois, puis, son accident un soir, suivi de son décès deux jours après ; tout cela, il y avait un peu plus de trente ans.

  • Entre nous, il y avait un lien très singulier qui nous unissait. Une sorte d’amitié plus qu’intime. Ayant vécu une enfance et une adolescence sordides, elle croquait la vie avec une allégresse vertigineuse. Je me souviens de la joie que nous avions tous les deux, lorsque nous nous retrouvions de temps à autre. Rien n’était calculé à l’avance, uniquement une envie de l’instant présent. Un soir, c’était le cinéma ou le restaurant ; un autre, chez elle ou chez moi ; un dimanche à randonner ; et uniquement une fois par semaine, voire tous les quinze jours. C’est peu en sept mois, mais, suffisant pour que son visage demeure gravé dans ma mémoire, et crée ce moment de trouble en vous voyant.
  • Je comprends votre stupeur, me répondit l’effrontée. C’est fou comme la vie nous réserve des surprises parfois. Ce qui l’est également, c’est l’aspect sosie. Comment, sans être les descendants d’un individu, on trouve parfois, des années après, une autre personne étant le reflet parfait de ce premier ?

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La venue de mon voisin, chauffeur du jour, interrompit notre bavardage. Nous nous séparâmes bons amis. Curieux, mon voisin me demanda : « C’était qui ?»

  • Un rêve, lui répondis-je, rien d’autre qu’une illusion céleste…

Humeur gaillarde d’un jour d’hiver mémorable

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Il paraît que ma dernière histoire était triste. Adepte convaincu de la bonne humeur, je tiens à me racheter. Un petit verre, ça vous dit ? Oui ? Alors, à la bonne votre !

Ce soir-là, combien étions-nous dans le bistrot du Léon ? Huit ? Dix ? Je dois reconnaître que ma mémoire visuelle de cette soirée me fait défaut ! C’est fou d’ailleurs comme la mémoire devient sélective suite à de tels événements. Vous en voulez un exemple ? J’ai complètement oublié combien nous étions, de même du nombre de tournées d’apéro que le vieux grigou s’empressait de nous servir. Par contre, je n’ai pas oublié ce qu’il fut raconté. Ah ! Regardez-vous coquins que vous êtes ! Je vous sens venir, tous pendus à votre ordinateur… Vous vous dites que le Guyr va vous raconter une histoire truculente du terroir ! Gagné, mes bons amis ! De toute manière, vous avez raison, à mon humble avis, il vaut mieux lire mes petites chroniques qu’écouter les infos… Eh ! C’est pas moi qui le dit, vous me connaissez, moi je suis du genre timide, réservé si vous préférez. Non, mes bons amis, ce sont les sondages nationaux ! Ils affirment qu’il vaut mieux lire mes bêtises que se masturber le ciboulot à prévoir l’avenir de la mouche qui sévit sur les bouses de vaches auvergnates !… A propos d’Auvergne, il faudrait peut-être que j’en revienne à mon histoire du terroir. Mais avant toute bonne chose, il vous faut impérativement vous mettre en condition. Vous êtes prêts ? Vous avez lu, j’ai bien écrit « vous êtes prêts » et non pas « prêtes ». Car, il faut que vous sachiez, qu’ici en Auvergne, les femmes restent à la maison pour préparer le repas pendant que les hommes boivent et discutent du passé. Normal, ici est le berceau de la France notre si beau pays, là où tout à commencer.

Bon, ça palabre, ça palabre, mais ça fait pas tout. Aller, hop ! C’est parti ! Tout d’abord, imaginez le bistrot. Vieux, très vieux même. Déco des années 50 avec un bar en zinc (ouais je sais, c’est ringard, c’est comme ça, point barre). C’est bien le zinc, ça résiste à tout. Soutenant le zinc vieux comme la nuit des temps wisigoths, s’entrechoquent sept à neuf poivrots et un chroniqueur spécialiste des anecdotes campagnardes, à savoir votre humble serviteur, moi le Guyr. C’est bon, vous parvenez à vous mettre dans l’ambiance ? Ensuite, concernant les attitrés poivrots, il y a des buveurs de bières, et d’autres ingurgiteurs de momies-pastis. C’est là que ça devient un peu compliqué. Sachant qu’une bière coûte deux fois plus cher qu’une momie-pastis, ici dans ce beau pays, il est normal qu’un buveur de bière paye deux tournées quand il n’en boit qu’une. Coup de pot, moi, je bois du pastis. Petit calcul intermédiaire, un peu comme le coup du milieu dans un gueuleton. Sachant que dans le groupe de onze (les neuf poivrots, plus le Léon et moi) il y avait trois buveurs de bière, et que chacun d’entre nous a payé sa tournée simple et double comme il se doit, voire plus même, ça fait combien de momies-pastis que j’ai ingurgitées ce soir-là ? Si vous avez un matheux parmi vous, je suis preneur. Bref ! J’en reviens à mon histoire.

  • Eh, dis donc Léon, c’est-y quand que tu fais un peu de neuf dans ton bistrot, demanda un des poivrots ?

  • C’est vrai, rétorqua un autre, on se croirait encore après-guerre. T’as vu, maintenant, y a des beaux zincs à Clermont. Té, tu devrais faire pareil !

  • Ouais, que renchérit le Joe, ça ferait plus clair, plus gai.

  • Peut-être, que dit le Jacquot, mais, ça fera moins original que chez les frères de Cisternes. Eux, se sont encore des purs, des authentiques.

  • Ah ? C’est quoi des purs, vos vrais authentiques, un folklore local, que je leur demande ?

  • C’est vrai, Guyr, que toi t’es pas d’ici, me répond le Paulo. Faut qu’on te raconte comment étaient les bistrots avant. Mais, avant paye ta tournée si tu veux qu’on t’explique.

Ayant fait signe au Léon de servir une autre tournée, je me tournais vers le Paulo pour qu’il me raconte.

  • Tu vois le zinc du Léon, avant ici dans le bourg, il y en avait sept comme lui. Dans les villages alentour, c’était pareil. En fait, leur nombre dépendait du nombre d’habitants. Avant, on buvait sec dans les campagnes. Traditionnellement, du blanc le matin, un peu de rosé-cassis sur les coups de midi, mais surtout du rouge le reste du temps. Puis, le Pastis est arrivé jusqu’à chez nous. Alors, pour faire comme dans le midi, on s’est mis à en boire.

  • Et heureusement que le Pastis est arrivé, l’interrompt le Jacquot, sinon le Léon nous aurait plus comme clients, et toi, tu nous aurais jamais connus.

  • Hein, ça t’en bouche un coin, que me dit l’Étienne, tu savais pas que le pastis est le meilleur médicament des auvergnats ?

Je les regarde ces goguenardots en puissance. Des vrais coqs gaulois, mieux que ceux d’Astérix et Obélix ! Ça braille, ça crie, ça boit, et ça rebraille, et ça recrie, et ça reboit… Manque plus que la vieille Félicie du village pour nous pousser la chansonnette des ponts de Paris… Faut vous dire, messieurs-dames, qu’ici, bien avant que le téléphone portable soit inventé, on communiquait dans les bistrots. Mais, pas dans n’importe quels bistrots, uniquement les authentiques ! Pas ceux où l’on vous servait uniquement à boire, non ceux où vous pouviez casser une petite croûte. Et la croûte, mes bons amis, elle était là sous vos yeux, même parfois au-dessus de vos yeux, quand ce n’était pas à côté de vos yeux. Jadis, dans les bistrots, on faisait sécher les saucissons dans la salle du café, car c’était la plus ventilée. Ce qui fait qu’il n’était pas rare que du jus de saucisson tombe dans votre verre… Comme, il était courant que les poules squattent le bistrot et les séchoirs à saucisson. Et qui dit poule perchée, dit poule chieuse… Toute cette gentille pluie bénéfique s’écrasant également sur les tables et les zincs,  »on » essuyait les tables et les zincs avec des torchons qui servaient ensuite à essuyer les verres… Mais, à tout malheur survenu, le bonheur est heureux !… Heureux était le buveur qui parvenait à ne pas être badigeonné, ou ne pas avoir le cul barbouillé par la chiante de poule qu’il n’avait pas vu trôner sur la chaise sur laquelle, épuisé d’avoir trop bu, il posait son auguste postérieur d’auvergnat authentique !

Cpa et photos d Auvergne (65)

Cette histoire est tout ce qu’il y a de plus véridique, même qu’il reste encore dans la campagne auvergnates quelques bistroquets spécimens du bon vieux temps. J’en connais un, à Cisternes, où il est fortement conseillé de ne boire que des bières bouteilles, et surtout pas de boissons servies dans un verre. Il paraît que même le pastis ou la gnôle du Léon ne seraient pas assez costauds pour tuer tous les microbes du cru !