Le Curé qui a fait dérailler l’Orient-Express

Oui, oui, je vous vois venir… Ce bon vieux Guyr va encore nous conter une histoire invraisemblable. Pensez-donc, un curé qui aurait fait dérailler l’Orient-Express ! Il l’a trouvé où cette fable extravagante ? Et puis, un déraillement du train mythique d’Agatha Christie, la presse en aurait largement fait écho ! Imaginez un peu : Hercule Poirot éjecté dans la luzerne, le petit détective belge batifole dans les coquelicots, Poirot en train de bouffer les pissenlits par la racine, Hercule Poirot se roule dans le macadam, etc, etc… Et pourtant, mes bons amis, ce déraillement a bien eu lieu. En mai 1967, pour être précis. Ça y est, vous commencez à me croire ? Bon, aller ! Je suis bon prince, je vous la raconte cette histoire. Installez-vous bien dans votre canapé, ou mieux, au wagon-restaurant de ce train remarquable. Préparez bien vos mouchoirs, et, lisez…

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Tout à commencer à cause d’un orphelin. Comment se nommait-il ? André, je crois me souvenir, mais franchement, je n’en suis pas certain. Curieuse destinée que celle de ce garçon sans famille qui, sans le vouloir, allait être un acteur clé de ce déraillement. Ses parents étant décédés à l’âge de ses cinq ans, et n’ayant pas d’autre famille, il fut confié à l’Assistance Publique. Il passa un an dans un orphelinat avant d’être recueilli par un sacré bonhomme qui l’éleva comme son fils.

Là, il faut que je fasse un petit retour en arrière d’un peu moins de deux siècles ; voyage dans le temps nécessaire pour comprendre la suite de ce récit.

En 1789, quelque part au sud de Louans, en Indre et Loire, un paysan décida de se joindre à la Révolution Française. Débrouillard, le coquin parvint à spolier différents biens nationaux. De petit paysan, il devint un gros exploitant agricole aisé que tout le monde respectait et craignait. Son épouse, désireuse que ses deux fils fréquentent la bourgeoisie locale, obligea son mari à leur offrir de bonnes études. L’aîné devint médecin, le second prit la suite de l’exploitation paternelle. Le médecin se mariât, eu trois fils et une fille. La fille épousa un notaire. Les deux aînés devinrent médecin et chirurgien, et pour le troisième, on l’obligea à devenir prêtre, comme cela se faisait dans la « bonne société » de l’époque. Ainsi, dans cette famille, se créa une lignée de médecins et de prêtres  » de père en fils », jusqu’en 1967, dont le dernier prêtre de cette dynastie s’appelait Jean-Marie.

Jean-Marie suivit le processus épiscopal, et, en 1950, il devint curé d’un petit village à proximité de Grenoble. C’était un personnage haut en couleur, doté d’un charisme rare et d’une stature impressionnante. Fort en verbe, il avait un don pour attirer les foules, nombreux étaient ceux qui venaient écouter ses sermons. Un Don Camillo à la française en quelque sorte, mais, qui possédait en son for intérieur une passion inassouvie : le train ! Car, depuis son adolescence, Jean-Marie voulait devenir conducteur de locomotive à vapeur. Hélas, dans sa famille on criait au loup !  » Hors de question, lui avaient dit ses parents, tu deviendras prêtre. Cheminot, jamais ! ».

Parmi les fidèles de sa petite cure isèroise, un jeune couple sans famille lui demanda de devenir parrain de leur fils, ce qu’il accepta. Au décès des parents, Jean-Marie se démena comme un diable pour obtenir la garde de l’enfant. Après de nombreuses batailles juridiques, il parvint à recueillir le jeune orphelin chez lui. Quand je les ai connus en janvier 1967, André avait quatorze ans, moi, dix sept.

Le brave curé, doté d’un tempérament très affectif pour le jeune garçon, décida de lui faire un cadeau peu ordinaire, mais aussi, d’assouvir sa passion refoulée. Dans les combles de son presbytère, il construisit une immense table de trois mètres sur quatre, sur laquelle, il ajouta un plateau de deux mètres sur trois, ce plateau étant posé sur des piliers en bois de cinquante centimètres de haut. Et pour finir, il en fixa un dernier d’un mètre sur deux, toujours avec des piliers identiques aux premiers. Essayez d’imaginer cette construction. Je vous certifie qu’elle était gigantesque !

Je pense que vous avez compris le fin mot de cette histoire. Jean-Marie et son fils adoptif construisirent le plus fabuleux train électrique que je n’ai jamais vu ! Il y avait des voies ferrées de partout, des tunnels à foison, une rivière où l’eau se déversait dans un lac grâce à une pompe électrique, de nombreux aiguillages, dix gares, des trains de voyageurs et de marchandises (8 en tout), quatre transformateurs avec double variateurs de vitesse, des ponts sur des routes, des bois et des prairies. Bref ! Le réseau ferré français en miniature où les trains naviguaient d’un plateau à l’autre, suant en grondant dans les côtes. Il fallait le voir et l’écouter ce brave curé ! Il connaissait tout sur les trains, leurs mécanismes, leurs puissances, et même leurs défauts. Avec son vocabulaire joyeux, il nous expliquait comment avait été conçus telle ou telle locomotive, ou tel ou tel wagon, nous emmenant dans des voyages imaginaires dignes d’un Jules Verne. Ce gars-là n’aurait jamais dû être prêtre, mais, ingénieur à la SNCF ! Un dimanche, il me dit :  »N’oublie pas, dimanche prochain, il sera arrivé et il faudra l’installer. André n’est pas au courant, c’est une surprise pour son anniversaire ».

Le dimanche suivant, en mai 1967, tous les trois, nous déballâmes religieusement sa folie : une copie conforme de l’Orient-Express. Tout y était, la locomotive à vapeur, le tandem de charbon, les wagons des voyageurs, le wagon-restaurant et naturellement le wagon-postal. Et, cerise sur le gâteau, un transformateur spécial doté d’un bouton qui permettait de faire siffler le train ! Avec toutes les précautions d’usage, nous l’installâmes sur les rails, et, heureux comme un pape, le brave curé lança l’Orient-Express. Gaillardement, le train d’Hercule Poirot franchit tous les cols, tous les tunnels, passant d’un plateau à l’autre, enjambant les ponts, passant dans les gares en sifflant. Jean-Marie, ce brave curé cheminot, dirigeait tout d’une main de maître, sous nos yeux ravis d’un tel prodige. Puis, nous les gamins eurent le droit de jouer avec lui. Suivant ses ordres, nous mîment les autres locomotives en route. Jean-Marie orchestra l’harmonie de ce va et vient, sauf qu’à un moment, il se trompa dans un aiguillage ! C’est comme cela que l’Orient-Express entra en collision avec un train de marchandises. Heureusement, il n’y eut pas de casse. Mais, c’est comme cela que Jean-Marie entra dans la légende : le Curé qui avait fait dérailler l’Orient-Express !!!

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Quand je vous disais de préparez vos mouchoirs, je pensais à tous les aficionados du train électrique face à un tel événement. Car, pour tous ces néophytes de monstres miniatures crachant de la fumée, voir un train dérailler, boudiou de boudiou, sûr que c’est la cata la plus effroyable, à la limite du conseil de guerre familial ! Alors, vous pensez, l’Orient-Express qui batifole dans les pissenlits, je vous dis pas, c’est…, boudiou de boudiou, comment vous dire ? Tiens, je suis tellement ému que je ne trouve pas les mots !!!!

4 réflexions sur “Le Curé qui a fait dérailler l’Orient-Express

  1. J’ai lu ton histoire à haute voix , car Isabel est en cuisine et souhaitait l’entendre , en effet j’ai sorti le mouchoir pour m’essuyer tellement j’ai transpiré à cet exercice et donc pour calmer la sécheresse de ma gorge , ce soir à ta santé, un verre de vin doux naturel rouge cuvée Cathares du côté de Maury !

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      1. Le vin doux naturel dit VDN , type Maury , Banyuls , Rivesaltes , Collioure n’est pas un vin rouge classique , c’est un vin d’apéritif ou de dessert , il est doux et suave au palais , que du plaisir avec le chocolat !

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