Humeur boudeuse d’un jour d’hiver sans gloire

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  • Il était une fois…

  • Non ! Débile ! C’est sacrément ringard ton truc ! T’aurais pas un truc plus « in », plus de notre temps ? Avec ton « il était une fois », putain, on se croirait à l’époque de bisounours. Essaie quelque chose de plus novateur.

  • Bon d’accord. Il y a longtemps dans le doux pays…

  • Non ! Non ! Et re non ! Là, tu dépasses carrément le bisounours ! Là, tu vois mon pote, tu voyages à l’époque de Charlemagne ! Merde, c’est toi l’écrivain ! Faut trouver, mec ! Faut trouver ! Tes lecteurs sur WordPress attendent du concret, pas de la guimauve ! Dans toutes tes histoires, t’aurais pas un truc glauque, sais pas moi, un truc qui les fasse frémir, un truc qui les fasse pisser dans leur froc ?

  • Bin, non. Tu me connais, je suis le Guyr. Pas un faiseur d’histoires à perturber le sommeil des braves gens. Moi, mon truc, c’est le Grand Imaginaire, le Pays Merveilleux, le Pays des Mille et Mille Mondes et celui des Mille Féeries. Pourquoi voudrais-tu que je leur raconte des histoires épouvantables ?

  • Non, sérieux, Guyr, t’as jamais inventé d’histoires effroyables ?

  • Tu sais, mon vieux Catelin, personnellement, je suis plutôt pour la bonne humanité. Tiens, celle-ci, je ne sais plus si elle est vraiment véridique. Dans ton pays glacé, tu n’as jamais entendu parler de Mademoiselle Eeeeuh, avec quatre E ? C’est vrai que chez toi, les nouvelles ont de la peine à arriver. Écoute…

Il y a bien longtemps de cela, mais, à vrai dire, ce n’est pas si loin, en bordure d’un petit village de France, vivait Mademoiselle Eugénie, Étiennette, Edmonde, Emilie, Ursula, Hélène. Son nom de famille, personne le connaissait. Comme les autochtones du coin avaient la flegme d’énumérer tous ses prénoms, ils l’appelaient Mademoiselle Eeeeuh. Sympa et pratique, n’est-ce pas ? Depuis la nuit des temps, on l’avait toujours vu vivre seule en compagnie de son chien et de sa chèvre. De quoi elle vivait ? Je n’en sais fichtre rien, et les gens du coin, eux aussi n’en savaient pas plus que moi. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’elle crevait la dalle. Maigre comme un clou la Demoiselle Eeeeuh, tout comme son clébard. Y avait que la chèvre qui s’en tirait bien. Faut dire que l’herbe dans le coin ne manquait pas. Et puis, t’aurais vu son chez soi ! Boudiou, un vrai capharnaüm de brocanteur. Tout un tas de fatras de moins que rien, tout juste bon à faire le décor d’un film d’horreur avec vampires et accessoires. Toute sa vie, elle a tiré le diable par la queue, grignotant une carotte sauvage par-ci ou un corbeau par-là. Quel âge qu’elle avait ? Quand cette histoire est arrivée, elle devait avoir dans les soixante cinq barreaux, et encore bien tassés les soixante cinq piges ! Mais, bien en forme malgré sa maigreur, celle de son chien et de la Joséphine. Ah oui, j’ai oublié de te dire que sa chèvre s’appelait Joséphine. Oui, elle l’avait baptisée comme ça en souvenir de Joséphine Baker qui, paraît-il, dansait et chantait guère mieux que sa chèvre.

Un jour d’hiver, elle demanda à un gars du village de tout mettre son fatras à la décharge. Elle vira tout ! Vidée de toute sa merde la bicoque ! Tu penses bien que tout le village s’inquiéta. « Et pourquoi c’est-y que vous masturbez le groin, qu’elle leur dit ? C’est bin la première fois que vous portez peine à mon endroit. Je fais du ménage, c’est tout ».

Le lendemain au matin, un jour d’hiver comme on en voit parfois, tu sais, du genre humeur boudeuse, une fois sa baraque nettoyée, elle dit à son chien : « Tu sais mon vieux cerbère que l’heure du trépas devait arriver un jour ou l’autre ? Tu vois, c’est décidé, c’est aujourd’hui ! » Sur ce, elle prit son vieux fusil, y logea deux cartouches de 12, dit à son chien de rester dans la cuisine et se dirigea vers la cabane, là où tous les vieux rendent l’âme, en toute discrétion, loin de la populace.

Pan ! Pan !

Boudiou, tu parles d’un boucan ! Deux coups de 12 dans une cabane, c’est sûr que ça s’entend de loin. Les voisins arrivèrent en courant, pensant que leur Demoiselle Eeeeuh s’était tiré deux fions dans le corps. Mais non, la vieille sortait gaillarde de la cabane, le fusil encore fumant à la main. « J’ai tué la Joséphine, qu’elle leur dit. Elle se faisait vieille, et moi et le chien, nous n’avions plus rien à manger. » Elle rentra chez elle, dépeça la chèvre, la mit à cuire dans son cantou. Une fois la bestiole bien cuite, à point comme il se doit, elle la mangea en compagnie de son chien.

« C’est bien ce tu voulais, tout comme moi, demanda-t-elle à son chien ? Hein, c’est bin ça, mourir le ventre plein, plutôt que comme deux moins que rien avec le ventre vide ? » Regardant son vieux compagnon, elle prit son fusil, remit deux cartouches de 12.

Pan ! Pan !

6 réflexions sur “Humeur boudeuse d’un jour d’hiver sans gloire

    1. Hélas, comme tant d’autres un peu partout dans les campagnes retirées du monde extérieur. Si je voulais, j’aurai de quoi écrire un bouquin de 500 pages sur ces petites anecdotes françaises. Celle-ci me fut racontée sur les hauts plateaux de l’Ardèche, là où en hiver, la température gèle, sans aucune sympathie, l’esprit de tout un chacun.

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  1. ramaje47

    Effectivement, c’est un peu « hard » pour une reprise de lecture, mais j’ai bien aimé tout de même. Oui c’est bien l’idée de la paysannerie d’une certaine époque et du « paraître », quelle que soit la classe sociale.
    Ravie de voir que le conteur est toujours là. Pour moi c’est un peu relâche et refonte des blogs…
    Bises et à bientôt
    Joëlle

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    1. Tiens, tiens… Mais qui que voilà ? La belle Dame de Ladignac ! Bien le bonjour Joëlle, ravi également de te savoir « vivante », et un gros merci pour ton appréciation. Bises avec tous mes voeux pour 2016.

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